Madre Tierra : Quand les peuples amérindiens nous rappellent ce que nous avons oublié
Il y a des livres qui tombent entre nos mains au moment exact où nous en avons besoin. « Madre Tierra ! Pour une renaissance amérindienne » de Daniel Wermus est de ceux-là.
Dans un monde où la déconnexion de la nature atteint des sommets tragiques, où les savoirs ancestraux sont encore trop souvent méprisés au nom d’un « progrès » qui nous mène droit dans le mur, ce livre arrive comme un rappel puissant : les peuples premiers n’ont jamais cessé de détenir les clés de notre survie collective.
Résumé : Un voyage initiatique au cœur de la renaissance amérindienne
« Madre Tierra ! » nous emmène dans un périple à travers sept pays d’Amérique centrale – du Mexique au Panama – à la rencontre des 70 millions d’Amérindiens qui, après cinq siècles d’écrasement colonial, entament leur autoguérison.
Daniel Wermus ne nous offre pas un énième regard anthropologique occidental sur les « pauvres Indiens ». Non. Il documente quelque chose de bien plus profond : la renaissance d’un monde qu’on croyait mort, mais qui n’a jamais cessé de respirer sous les décombres de la colonisation.
Le livre suit le parcours de Diego et Christiane Gradis, un couple franco-suisse qui a tout quitté – brillantes carrières d’avocat international et d’analyste financière – pour créer l’ONG « Traditions pour Demain ». Pendant quinze ans, ils ont accompagné près de deux cents communautés indigènes dans leur lutte pour récupérer leur identité culturelle : langues, musiques, médecines traditionnelles, cosmovisions ancestrales.
À travers des rencontres bouleversantes avec des chamanes, des guérisseurs, des guides spirituels mayas, quichés, kunas, garifunas et tant d’autres, le livre nous confronte à une question vertigineuse : et si c’étaient eux, les « riches » ? Et si c’étaient nous, les « pauvres » ?
"Vous les Blancs... on dirait que vous ne touchez pas terre. Vous n'habitez pas dans votre corps, vous semblez déconnectés."
Esperanza, guide spirituelle maya Tweet
L’auteur : Daniel Wermus, journaliste-passeur entre deux mondes
Daniel Wermus n’est pas un aventurier en quête d’exotisme. Ancien reporter à La Tribune de Genève, il dirige aujourd’hui InfoSud, une agence de presse dédiée aux voix négligées du monde. Sa plume allie rigueur journalistique et sensibilité profonde.
Dans « Madre Tierra ! », il ne parle pas des Amérindiens, il leur donne la parole. Il ne les observe pas de loin, il chemine avec eux. Il ne théorise pas leur spiritualité, il la ressent et nous la transmet avec une honnêteté rare.
Préfacé par Yves Coppens, paléoanthropologue au Collège de France, le livre s’inscrit dans une démarche scientifique rigoureuse tout en gardant cette chaleur humaine qui fait toute la différence.
Les thèmes abordés dans le livre
Le doux parfum des violettes aborde plusieurs thématiques universelles :
- Les secrets de famille et leur poids intergénérationnel
- La relation mère-fille comme espace de réconciliation
- La mémoire familiale et ses zones d’ombre
- Le pardon comme chemin de libération
- L’écriture comme rituel de guérison
Mon commentaire : Un miroir tendu à notre propre aliénation
En lisant « Madre Tierra ! », j’ai été frappée par la familiarité des thèmes abordés. Comme yalorisha travaillant avec les traditions afro-brésiliennes, je reconnais cette même lutte : reconstruire ce qui a été arraché, réapprendre ce qui a été interdit, guérir de la violence coloniale.
Que nous parlions des Orixás du Candomblé ou des cosmovisions amérindiennes, le fil rouge est le même : une relation sacrée et intime avec la Terre, une compréhension que nous ne sommes pas séparés de la nature mais tissés dans sa trame.
La décolonisation spirituelle est un combat universel
Ce qui m’a particulièrement touchée, c’est de voir comment les peuples amérindiens vivent aujourd’hui ce que nous, descendants d’Africains déportés, avons vécu pendant des siècles : le mépris des traditions, l’obligation d’assimilation, la honte intériorisée de nos propres racines.
Le livre raconte comment, après 1492, 90% des populations autochtones ont disparu. Pas seulement physiquement, mais aussi culturellement. Comment leurs langues ont été interdites, leurs cérémonies criminalisées, leurs chamanes brûlés vifs pour « idolâtrie ».
Ça ne vous rappelle rien ? Les terreiros de Candomblé rasés par la police, les mères et pères de santo emprisonnés, les tambours confisqués parce que considérés comme « primitifs » ou « diaboliques »…
« Ne fais pas à Madre Tierra ce que tu ne ferais pas à ta propre mère »
Cette phrase, répétée par les gardiens de traditions, résume toute la sagesse que l’Occident a perdue en route.
Dans les traditions que je pratique, nous parlons de Yemanjá, mère des eaux, ou d’Oxum, déesse des rivières. Les Amérindiens parlent de Pachamama, Tonantzin, Madre Tierra. Les noms changent, mais la conscience est la même : la Terre n’est pas une ressource à exploiter, c’est notre mère à honorer.
Le livre pose une question dérangeante : qui sont vraiment les « sous-développés » ? Ceux qui vivent en harmonie avec leur environnement depuis des millénaires, ou ceux qui détruisent méthodiquement l’écosystème qui les fait vivre ?
Les Amérindiens ne sont pas un obstacle au progrès, ils SONT l’alternative
J’ai été particulièrement marquée par cette déclaration d’un leader indigène : « Nous ne sommes pas des freins au développement, nous sommes une alternative ! »
C’est exactement ce que j’essaie de transmettre dans mon travail autour des spiritualités afro-brésiliennes. Nos traditions ne sont pas des folklores du passé, ce sont des technologies spirituelles sophistiquées, des systèmes de guérison holistiques, des modèles d’organisation sociale qui ont fait leurs preuves pendant des siècles.
Quand Augustin, jeune guérisseur quichua, dit : « Si le monde va mal, ce n’est pas parce que vous êtes les riches et que nous sommes les pauvres. C’est parce que vous les riches êtes malheureux » – il met le doigt sur quelque chose d’essentiel.
La vraie pauvreté n’est pas matérielle. C’est celle du temps, comme le dit si bien Rigoberto Itzep : « Les Européens sont pauvres en temps. Chez nous, nous sommes riches en temps. »
Un hymne à l’espoir et à la résilience
Ce que j’ai aimé par-dessus tout dans ce livre, c’est qu’il refuse le misérabilisme. Oui, les peuples amérindiens ont subi un génocide. Oui, ils continuent d’être marginalisés, discriminés, dépossédés.
Mais ils sont vivants. Et ils sont en train de gagner.
Partout en Amérique latine, la renaissance est en marche : radios communautaires indigènes, écoles bilingues qui enseignent les langues ancestrales, universités mayas, chamanes qui forment une nouvelle génération de guérisseurs, politiciens amérindiens qui arrivent au pouvoir…
Ça me rappelle la résistance du Candomblé. Pendant combien de temps nous a-t-on dit que nos traditions allaient disparaître ? Et pourtant, nous sommes toujours là. Nos terreiros sont pleins. Nos rituels sont vivants. Nos Orixás continuent de nous guider.
Pourquoi lire « Madre Tierra ! » aujourd’hui ?
Parce que nous avons tous besoin de nous reconnecter. À la Terre. À nos ancêtres. À nos traditions. À notre essence.
Parce que la crise écologique que nous traversons n’est pas seulement technique ou politique – elle est avant tout spirituelle. C’est une crise de la relation au vivant.
Parce que les peuples premiers – qu’ils soient amérindiens, africains, aborigènes ou autres – détiennent des savoirs qui peuvent littéralement sauver l’humanité.
Parce que, comme l’écrit si bien Rigoberta Menchú, prix Nobel de la paix 1992 : « Nous les indigènes sommes porteurs des connaissances pour le profit des humains. Nous avons d’énormes capacités pour cela. »
Ce livre est un pont
Un pont entre le Nord et le Sud, entre les « développés » et les « sous-développés » (termes qu’il faudrait d’urgence déconstruire), entre la modernité et les traditions, entre la raison et le cœur.
Daniel Wermus a réussi quelque chose de rare : nous faire entendre les voix des Amérindiens sans les déformer, sans les folkloriser, sans les instrumentaliser. Il nous donne accès à leur pensée profonde, à leur cosmovision, à leur espoir.
Et leur message est clair : « Écoutez, hommes blancs. Nous avons quelque chose à vous dire. Le monde ne peut pas aller bien tant que vous allez mal. Mais il n’est pas trop tard pour réapprendre. »
« Madre Tierra ! Pour une renaissance amérindienne »
Daniel Wermus
Préface d’Yves Coppens
Éditions Albin Michel, collection Guides Clés, 2002
Un livre essentiel pour quiconque s’intéresse à la décolonisation des savoirs, à l’écologie spirituelle, aux traditions ancestrales et à la possibilité d’un autre monde.
Pour aller plus loin :
Si ces thématiques vous parlent, je vous invite à découvrir mon propre travail autour des spiritualités afro-brésiliennes et de la reconnexion ancestrale sur Yalorisha.com. Parce qu’au fond, que nous parlions des Orixás ou de Madre Tierra, nous parlons tous de la même chose : se souvenir que nous sommes les enfants de la Terre, et qu’elle a besoin que nous redevenions dignes d’elle.
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