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Lorsque vous cherchez « chamanisme africain » sur internet, vous posez en réalité une question plus profonde : existe-t-il vraiment un chamanisme en Afrique ? La réponse est nuancée et mérite d’être clarifiée dès maintenant
Le terme « chamanisme africain » est techniquement inapproprié, mais il n’est pas totalement faux. Voici pourquoi : le mot « chamane » provient de Sibérie (du toungouse šamán) et décrit des pratiques spécifiques qui ne correspondent pas exactement à ce que l’on observe sur le continent africain. Pourtant, ce terme est devenu un raccourci occidental pratique pour désigner l’ensemble des pratiques spirituelles, de guérison et de communication avec les esprits qui existent en Afrique depuis des millénaires.
La réalité est bien plus riche : l’Afrique possède ses propres traditions, ses propres noms et ses propres logiques spirituelles. Les praticiens s’appellent Sangoma, Nganga, initiés du Bwiti, prêtres Vaudou… et leurs pratiques, bien que partageant des points communs avec ce que l’on nomme « chamanisme » ailleurs, ont leur identité propre.
Dans ce guide, je vais vous expliquer pourquoi ce débat existe, vous présenter les vraies appellations de ces praticiens selon les régions d’Afrique, décrire les fondements spirituels de ces traditions (culte des ancêtres, transe, plantes sacrées), et clarifier la différence entre animisme, chamanisme et Vaudou. En tant que Yalorisha initiée aux traditions afro-brésiliennes du Candomblé, je partagerai également mon regard sur l’importance de nommer correctement ces pratiques pour les honorer.
Le Terme « Chamanisme Africain » : Un Débat Sémantique et Culturel
Pourquoi ce Terme Pose Problème aux Anthropologues
Le mot « chamane » vient du toungouse šamán, une langue parlée en Sibérie. Dans son sens originel, le chamanisme sibérien se caractérise par un phénomène précis : le voyage extatique de l’âme. Le chamane entre en transe et son esprit quitte son corps pour voyager dans les mondes invisibles (monde supérieur, monde inférieur) afin d’y trouver la cause d’une maladie, récupérer une âme perdue ou négocier avec des esprits.
En Afrique, les mécaniques spirituelles sont souvent différentes. Comme le souligne l’anthropologue Jean-Loïc Le Quellec dans ses travaux publiés sur OpenEdition, les pratiques observées relèvent plus fréquemment de la possession. Ce n’est pas l’âme du praticien qui voyage vers les esprits, mais l’esprit qui descend et possède le praticien, qui devient alors un réceptacle, un canal.
Voici la différence fondamentale :
- Chamanisme sibérien : L’âme du praticien s’envole et voyage vers les esprits
- Pratiques africaines : L’esprit (ancêtre, divinité) descend et investit le corps du praticien
Cette distinction n’est pas qu’un détail technique. Elle touche à la cosmologie même de ces traditions. Dans de nombreuses cultures africaines, le monde des esprits n’est pas « ailleurs », au-dessus ou en dessous. Il coexiste avec le monde visible, séparé par un voile fin que certains initiés peuvent franchir.
Alors, Pourquoi Continue-t-on à Utiliser ce Terme ?
Deux raisons principales expliquent la persistance du terme « chamanisme africain » :
- La recherche de points communs universels : Les anthropologues du XXe siècle ont cherché à identifier des structures spirituelles communes à toute l’humanité. Mircea Eliade, dans son ouvrage célèbre Le Chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, a élargi le concept pour y inclure toute forme de communication avec les esprits. Cette approche, bien que critiquée aujourd’hui pour son eurocentrisme, a popularisé l’idée d’un « chamanisme universel ».
- Un mot-valise pratique : Pour le grand public occidental, « chamanisme » évoque immédiatement certaines pratiques : transe, guérison par les plantes, communication avec l’invisible. C’est un raccourci linguistique qui permet de faire comprendre rapidement de quoi on parle, même s’il efface les spécificités culturelles.
Je préfère parler de spiritualités traditionnelles africaines ou de pratiques ancestrales de guérison. Ces termes respectent la diversité du continent et évitent de plaquer une grille de lecture extérieure sur des réalités autochtones complexes.
Les Véritables Appellations des Praticiens Spirituels Africains
Le « chaman africain » n’existe pas en tant que tel. Ce qui existe, ce sont des praticiens aux noms spécifiques, dont le rôle et les fonctions varient selon les cultures, les langues et les régions. Voici les principales figures que vous devez connaître.
Le Sangoma d’Afrique du Sud
Le Sangoma est probablement le praticien le plus connu d’Afrique australe. Présent dans les cultures Zoulou, Xhosa et Swazi, le Sangoma est à la fois devin et guérisseur. Sa vocation n’est pas choisie : elle lui est imposée par les ancêtres (amadlozi) à travers des rêves récurrents, des visions ou même une maladie que seule l’initiation peut guérir. Ce phénomène s’appelle ukuthwasa (l’appel des ancêtres).
Le Sangoma communique avec les esprits ancestraux par différentes méthodes :
- Le jet d’osselets (amathambo) : des os, des coquillages, des pièces qui, une fois lancés, forment des configurations que seul le Sangoma sait interpréter
- La transe et la danse : accompagnées de tambours et de chants, elles permettent aux ancêtres de « descendre » et de parler à travers le Sangoma
- L’utilisation de plantes (muthi) : connaissances ethnobotaniques transmises lors de l’initiation
Leur rôle social est crucial. Comme le rapporte Le Monde, les Sangomas sont considérés comme un « maillon essentiel du système de santé » en Afrique du Sud, où ils collaborent parfois avec la médecine moderne.
Le Nganga d’Afrique Centrale
Le terme Nganga est utilisé dans une vaste zone d’Afrique centrale, notamment au Congo, en Angola, au Cameroun et en République Démocratique du Congo. Il s’agit d’un expert rituel, maître des savoirs ésotériques et de la pharmacopée.
Le Nganga travaille avec les nkisi (singulier : nkisi), que l’on peut traduire par « objets de pouvoir » ou « fétiches » (bien que ce dernier terme soit chargé négativement). Un nkisi est un réceptacle qui contient des éléments naturels (terre, plantes, os, minéraux) et qui abrite un esprit. Le Nganga « active » ces nkisi pour protéger, guérir ou parfois nuire (dans le cas de la sorcellerie).
Ses fonctions sont multiples :
- Guérison des maladies physiques et spirituelles
- Protection contre la sorcellerie (ndoki)
- Divination pour identifier les causes d’un problème
- Médiation avec les ancêtres et les esprits de la nature
Le Nganga détient un savoir encyclopédique sur les plantes médicinales. Ce savoir, transmis de maître à disciple lors d’initiations longues et difficiles, fait de lui un ethnobotaniste reconnu par sa communauté.
Les Initiés du Bwiti au Gabon
Le Bwiti n’est pas le nom d’un praticien, mais d’une tradition initiatique et d’un culte des ancêtres pratiqués au Gabon, notamment par les peuples Mitsogo, Fang et Punu. Les pratiquants du Bwiti sont appelés banzi (initiés).
Ce qui rend le Bwiti unique, c’est l’utilisation rituelle de l’iboga (Tabernanthe iboga), une plante aux propriétés psychoactives puissantes. L’écorce de la racine d’iboga contient des alcaloïdes qui provoquent des visions intenses. Elle est consommée lors du rite d’initiation, appelé ndjobi, pour permettre au novice de « voir » le monde spirituel, de rencontrer ses ancêtres et de « naître » à la vie spirituelle.
Les cérémonies Bwiti sont complexes et encadrées :
- Elles se déroulent dans un temple appelé mbandja ou corps de garde
- Elles sont accompagnées de musiques sacrées jouées sur la harpe ngombi
- Elles durent toute une nuit et sont supervisées par des initiés expérimentés
Le Musée du Quai Branly à Paris conserve de nombreux objets rituels liés au Bwiti, témoignant de l’importance culturelle de cette tradition. Je tiens à préciser que l’iboga est une substance puissante, potentiellement mortelle si mal utilisée, et strictement interdite en France.
Les Prêtres Vaudou d’Afrique de l’Ouest
Le Vaudou (ou Vodun) est une religion structurée originaire du Bénin et du Togo, pratiquée par les peuples Fon, Ewe et Yoruba. Contrairement aux autres pratiques mentionnées, le Vaudou possède un panthéon organisé de divinités (les Voduns ou Orishas), un clergé hiérarchisé et des temples.
Les praticiens Vaudou portent différents noms selon leur fonction :
- Houngan (homme) ou Mambo (femme) : prêtres initiés capables de conduire les cérémonies et de communiquer avec les Voduns
- Bokonon : devin spécialisé dans le Fa, système de divination complexe comparable au Yi King chinois
Le Vaudou a traversé l’Atlantique avec la traite négrière et s’est enraciné en Haïti, à Cuba (sous forme de Santería) et au Brésil (sous forme de Candomblé). Cette diaspora a créé des syncrétismes fascinants que je connais intimement à travers mon initiation au Candomblé.
Comme l’explique RFI, « le vaudou au Bénin est bien plus qu’une religion » : c’est un système de pensée, une médecine, une justice sociale et une connexion permanente avec les forces invisibles.
Tableau Récapitulatif des Praticiens
| Appellation | Région | Rôle Principal | Méthode de Communication |
|---|---|---|---|
| Sangoma | Afrique du Sud (Zoulou, Xhosa) | Devin-guérisseur | Jet d’osselets, transe, possession par les ancêtres |
| Nganga | Afrique Centrale (Congo, Angola) | Expert rituel et guérisseur | Utilisation des nkisi, plantes, divination |
| Initié Bwiti | Gabon (Mitsogo, Fang) | Pratiquant du culte des ancêtres | Visions induites par l’iboga, musique sacrée |
| Houngan/Mambo | Afrique de l’Ouest (Bénin, Togo) | Prêtre Vaudou | Possession par les Voduns, divination Fa |
Les Piliers des Pratiques Spirituelles Africaines
Au-delà des différences régionales et culturelles, certains piliers fondamentaux se retrouvent dans la plupart des traditions spirituelles africaines. Ce sont ces éléments communs qui ont conduit les observateurs occidentaux à utiliser le terme générique de « chamanisme ».
Le Culte des Ancêtres comme Fondation
Si je devais identifier un seul pilier universel aux spiritualités africaines, ce serait le culte des ancêtres. Dans la vision du monde africaine traditionnelle, la mort ne met pas fin à l’existence. Les défunts deviennent des ancêtres (amadlozi en zoulou, bakulu en lingala, egungun en yoruba) qui continuent d’exister dans un autre plan.
Les ancêtres ne sont pas de simples souvenirs. Ce sont des êtres actifs qui :
- Veillent sur leurs descendants
- Peuvent intervenir dans leur vie (en bien ou en mal)
- Servent d’intermédiaires entre les humains et les forces cosmiques supérieures
- Doivent être honorés régulièrement par des offrandes et des rituels
Le praticien spirituel, qu’il soit Sangoma ou Nganga, est avant tout un pont entre les vivants et les ancêtres. Il sait comment les appeler, comment interpréter leurs messages et comment rétablir l’harmonie lorsque les ancêtres sont mécontents (ce qui peut causer maladies, malchance ou conflits familiaux).
Cette vision crée une continuité temporelle vertigineuse. Votre arrière-grand-mère décédée il y a 70 ans n’est pas « partie » : elle fait partie de votre famille étendue et continue d’influencer votre vie. C’est une conception du temps et de la communauté radicalement différente de la vision occidentale moderne.
La Transe et la Possession Spirituelle
La transe est l’outil de communication privilégié avec le monde invisible. Contrairement au « voyage chamanique » sibérien où c’est l’âme qui part, ici c’est l’esprit qui vient.
Comment fonctionne cette transe ?
- Préparation rituelle : jeûne, purification, prières
- Induction par le rythme : tambours, hochets, danses répétitives qui créent un état de conscience modifié
- Possession : un ancêtre ou une divinité « monte » sur le praticien (on dit qu’il « chevauche » le médium)
- Communication : l’esprit parle à travers le praticien, souvent dans un langage ancien ou avec une voix différente
- Révélations : diagnostics, conseils, prophéties sont délivrés à la communauté
- Retour : l’esprit part, le praticien revient à lui, souvent épuisé et sans souvenir de ce qui s’est passé
J’ai personnellement vécu ces transes lors de cérémonies de Candomblé au Brésil. La sensation est difficile à décrire : il y a un moment où l’on « cède », où quelque chose de plus grand prend le contrôle. Ce n’est ni effrayant ni violent quand c’est bien encadré. C’est une dissolution temporaire du moi au profit d’une conscience plus vaste.
Ces pratiques de transe sont si importantes culturellement que certaines ont été reconnues par l’UNESCO. Le rituel de possession Vimbuza pratiqué par le peuple Tumbuka au Malawi est inscrit au Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité.
L’Ethnobotanique et les Plantes Sacrées
Les guérisseurs africains sont des ethnobotanistes de très haut niveau. Ils possèdent un savoir millénaire sur les plantes qui soignent le corps et celles qui ouvrent les portes de la perception.
Deux catégories de plantes sont utilisées :
Les plantes médicinales ordinaires :
- Écorces, racines, feuilles pour traiter infections, douleurs, troubles digestifs
- Connaissances empiriques accumulées sur des générations
- Certaines ont été validées par la science moderne (exemple : l’artémisinine contre le paludisme)
Les plantes sacrées et psychoactives :
- L’iboga (Tabernanthe iboga) au Gabon : puissant psychédélique utilisé dans le Bwiti
- La datura (Datura stramonium) : plante hallucinogène dangereuse, utilisée avec précaution
- Le cannabis : utilisé dans certains rituels d’Afrique du Sud et centrale
- Diverses plantes contenant des alcaloïdes utilisées pour induire visions ou rêves prophétiques
Je dois être très claire sur ce point : ces plantes sont extrêmement dangereuses si utilisées hors contexte. L’iboga, par exemple, peut provoquer des arrêts cardiaques. Sa consommation est strictement encadrée dans les rituels Bwiti par des initiés qui connaissent les dosages, les contre-indications et les protocoles de sécurité. Toute utilisation récréative ou « thérapeutique » sauvage est potentiellement mortelle et souvent illégale.
Le praticien traditionnel n’utilise jamais ces substances à la légère. Elles font partie d’un dispositif rituel global : préparation spirituelle, présence d’une communauté protectrice, intention claire, intégration après l’expérience.
Le Rôle Social et Communautaire du Guérisseur
Un aspect souvent négligé du « chaman africain » est son rôle éminemment social. Il n’est pas un mystique isolé dans une grotte. Il est au cœur de la vie communautaire.
Ses fonctions dépassent largement la guérison :
- Conseil et arbitrage : il aide à résoudre les conflits familiaux ou de voisinage
- Diagnostic social : il identifie les causes invisibles des problèmes collectifs (sécheresse, épidémies)
- Protection collective : il crée des protections rituelles pour le village entier
- Rites de passage : il supervise les naissances, initiations, mariages, funérailles
- Mémoire vivante : il est gardien des mythes, des généalogies, de l’histoire orale
Dans certaines sociétés, il forme avec le chef politique un binôme de pouvoir : le chef gère le visible, le praticien gère l’invisible. Cette complémentarité assure l’équilibre du groupe.
Comprendre les Distinctions : Animisme, « Chamanisme », Vaudou
L’une des confusions les plus fréquentes concerne ces trois termes. Clarifions-les une fois pour toutes.
L’Animisme : Une Vision du Monde
L’animisme n’est pas une religion ni une pratique. C’est une cosmologie, une façon de percevoir le monde. Comme le définit l’Encyclopædia Universalis, l’animisme est la croyance selon laquelle tous les éléments de la nature possèdent une âme, un esprit, une conscience.
Dans une vision animiste :
- Les arbres ont un esprit
- Les rivières ont une conscience
- Les animaux sont des êtres avec qui on peut communiquer
- Les rochers, les montagnes, le vent… tout est vivant et relié
L’animisme est le système d’exploitation sur lequel tournent les pratiques spirituelles africaines. C’est la base de données qui dit : « Le monde est habité par des forces invisibles avec lesquelles nous pouvons interagir. »
Le "Chamanisme" : Un Ensemble de Techniques
Si l’animisme est la croyance, le « chamanisme » (au sens large, pas strictement sibérien) désigne l’ensemble des techniques utilisées pour interagir avec ces esprits :
- Entrer en transe
- Communiquer avec les ancêtres
- Utiliser des plantes pour ouvrir la perception
- Voyager (physiquement ou en esprit) vers des lieux sacrés
- Manipuler des objets rituels chargés de pouvoir
Le « chamanisme » est donc la pratique active d’une personne initiée (le Sangoma, le Nganga) qui utilise ces techniques au service de sa communauté. C’est le « logiciel applicatif » qui fonctionne sur le système d’exploitation animiste.
Le Vaudou : Une Religion Organisée
Le Vaudou (Vodun en langue Fon) est bien plus qu’une simple pratique chamanique. C’est une religion complète avec :
- Un panthéon structuré : des dizaines de Voduns (divinités) ayant chacun sa personnalité, ses attributs, ses couleurs, ses chants
- Une théologie : une cosmogonie expliquant la création du monde, une mythologie riche
- Un clergé hiérarchisé : initiations à différents niveaux, transmission de savoirs secrets
- Des temples : des lieux de culte fixes où résident les Voduns
- Des liturgies codifiées : des séquences rituelles précises, des calendriers de fêtes
Le Vaudou intègre des pratiques chamaniques (transe, possession, divination, guérison par les plantes) mais dans un cadre religieux beaucoup plus large. C’est comme comparer la méditation (une technique) au bouddhisme (une religion complète qui utilise la méditation parmi d’autres pratiques).
Tableau Comparatif pour Mieux Comprendre
| Concept | Nature | Fonction | Exemple |
|---|---|---|---|
| Animisme | Vision du monde, croyance de base | Affirme que tout dans la nature possède un esprit | Croire que l’esprit d’un arbre peut vous parler |
| « Chamanisme » | Ensemble de techniques et de pratiques | Permet de communiquer activement avec ces esprits | Le Sangoma entre en transe pour parler aux ancêtres |
| Vaudou | Religion organisée et structurée | Système complet avec théologie, clergé, rituels codifiés | Le Houngan conduit une cérémonie pour honorer le Vodun Legba |
Pour résumer simplement :
- L’animisme dit : « Les esprits existent »
- Le « chamanisme » dit : « Voici comment parler aux esprits »
- Le Vaudou dit : « Voici notre religion complète, qui inclut la communication avec les esprits parmi de nombreux autres éléments »
Mon Cheminement dans les Traditions Afro-Diasporiques
Je m’appelle Virginie Lamien, et dans les espaces sacrés, on me nomme Yalorisha. Ce titre n’est pas un pseudonyme choisi sur un coup de tête. C’est un nom rituel gagné à travers l’initiation, le sang, les larmes et la transformation.
Mon Initiation au Candomblé Brésilien
Mon parcours dans les traditions africaines ne s’est pas fait en Afrique, mais au Brésil, à travers le Candomblé. Le Candomblé est une religion afro-brésilienne née de la rencontre tragique entre les esclaves africains déportés (principalement des peuples Yoruba, Fon et Bantou) et la terre brésilienne. Ces hommes et ces femmes arrachés à leur continent ont réussi l’impensable : préserver et transmettre leurs traditions spirituelles malgré l’oppression.
Le Candomblé honore les Orishas (ou Orixás en portugais), divinités yoruba qui gouvernent les forces de la nature. Mon initiation s’est déroulée dans un terreiro (temple) de Salvador de Bahia, cœur historique de la culture afro-brésilienne. J’y ai vécu le rituel du bori (renforcement de la tête spirituelle), puis l’initiation complète qui dure plusieurs semaines et qui vous transforme à jamais.
Lors de l’initiation, vous « mourez » symboliquement pour « renaître » comme enfant de votre Orisha tutélaire. Vous apprenez les chants en langue yoruba, les danses rituelles, les offrandes, les interdits alimentaires, les codes vestimentaires. Vous expérimentez la possession par votre Orisha lors des cérémonies publiques, moment où votre conscience ordinaire s’efface pour laisser place à la divinité.
Cette expérience m’a profondément marquée. Elle m’a donné un accès direct à ce que signifie appartenir à une tradition initiatique africaine, même sur une terre différente.
La Nécessité de Nommer Correctement les Pratiques
C’est précisément parce que je connais l’exigence de ces traditions que je refuse d’utiliser le terme « chamanisme africain » sans nuance. Appeler un Houngan vaudou « chaman » reviendrait à appeler un prêtre catholique « sorcier » : c’est approximatif, réducteur et irrespectueux.
Chaque tradition a son nom, son histoire, sa logique propre. Utiliser le bon vocabulaire n’est pas du purisme académique stérile. C’est une forme de respect fondamental envers les cultures qui ont survécu à l’esclavage, à la colonisation, aux conversions forcées et qui continuent aujourd’hui de transmettre leurs savoirs.
Quand je parle du Candomblé, je ne dis pas « chamanisme brésilien ». Je dis Candomblé. Quand je parle du Bwiti, je ne dis pas « chamanisme gabonais ». Je dis Bwiti. Les mots ont un pouvoir. Ils créent ou détruisent du respect.
Le Rôle du Praticien : Gardien et Passeur
En tant que Yalorisha, je me considère comme une passeuse de seuils. Mon rôle n’est pas de convertir qui que ce soit ni de prétendre détenir la vérité ultime. Mon rôle est d’ouvrir des portes pour ceux qui sont appelés, de créer des espaces sacrés où la rencontre avec l’invisible devient possible, et de transmettre ce que j’ai reçu de mes aînés.
Les traditions afro-diasporiques (Candomblé, Santería, Vaudou haïtien, Umbanda) m’ont appris que la spiritualité africaine n’est pas morte. Elle est vivante, elle s’adapte, elle voyage, elle se transforme sans perdre son essence. C’est une spiritualité résiliente qui a survécu à l’innommable.
Mon travail aujourd’hui consiste à accompagner des personnes en quête de sens, à créer des rituels de passage pour marquer les transitions de vie, à honorer les ancêtres (les miens et ceux de mes consultants), et à partager ces savoirs ancestraux avec respect et rigueur.
Questions Fréquemment Posées (FAQ)
Existe-t-il un chamanisme africain ?
Non, pas en tant que système unifié portant ce nom. Le terme « chamanisme africain » est une appellation occidentale qui regroupe des pratiques spirituelles très diverses. Ces pratiques existent bel et bien (guérison, communication avec les esprits, transe), mais elles s’appellent autrement selon les cultures.
C'est quoi un chaman africain ?
Il n’y a pas de « chaman africain » à proprement parler. On parle plutôt de guérisseurs traditionnels, de devins ou de praticiens rituels qui portent des noms spécifiques : Sangoma en Afrique du Sud, Nganga en Afrique Centrale, ou prêtres Vaudou en Afrique de l’Ouest.
Quelle est la différence entre chamanisme et animisme ?
L’animisme est une croyance selon laquelle la nature possède un esprit. Le chamanisme désigne les techniques utilisées par un praticien pour communiquer avec ces esprits. L’animisme est le système de pensée, le chamanisme est la pratique.
Comment s'appelle le chamanisme en Afrique ?
Il porte des noms différents selon les régions : pratiques des Sangomas (Afrique du Sud), rituels du Bwiti (Gabon), culte Vaudou (Bénin, Togo), médecine des Ngangas (Congo, Angola). Chaque tradition a son identité propre et ne se nomme pas « chamanisme ».
Quelles sont les pratiques du chamanisme africain ?
Les pratiques communes incluent le culte des ancêtres, la transe et la possession spirituelle, l’utilisation de plantes médicinales et sacrées, la divination (jet d’osselets, lecture de signes), et les rituels de guérison. Ces pratiques varient considérablement d’une culture à l’autre.
Le Vaudou est-il du chamanisme ?
Non. Le Vaudou est une religion complète avec un panthéon de divinités (les Voduns), un clergé structuré, des temples et une théologie. Il intègre certaines pratiques « chamaniques » comme la transe, mais c’est un système bien plus vaste qu’un simple ensemble de techniques.
Peut-on devenir "chaman africain" si on n'est pas africain ?
Les traditions spirituelles africaines sont basées sur l’initiation et la transmission de maître à élève. Il est possible pour un non-Africain d’être initié dans certaines traditions (comme le Candomblé au Brésil) s’il est sincèrement appelé et accepté par une communauté légitime. Mais on ne devient pas « chaman » par un stage d’un week-end.
L'iboga est-il légal en France ?
Non. L’iboga et son alcaloïde principal (l’ibogaïne) sont classés comme stupéfiants en France et dans la plupart des pays occidentaux. Sa consommation, sa détention et sa vente sont strictement interdites. Au Gabon, son utilisation est légale uniquement dans un cadre rituel Bwiti traditionnel.
Quelle est la différence entre un Sangoma et un Nganga ?
Le Sangoma est un devin-guérisseur d’Afrique australe (culture zoulou) qui communique avec les ancêtres par la transe et le jet d’osselets. Le Nganga est un praticien d’Afrique centrale (cultures bantou) expert en rituels et en pharmacopée, qui travaille avec des objets de pouvoir appelés nkisi.
Les pratiques de guérison africaines sont-elles reconnues officiellement ?
Dans certains pays africains, oui. L’Afrique du Sud, par exemple, a légalement reconnu les guérisseurs traditionnels et certains hôpitaux collaborent avec eux. L’OMS encourage également le dialogue entre médecine traditionnelle et médecine conventionnelle en Afrique.
Comment trouver un praticien traditionnel légitime ?
La légitimité d’un praticien se reconnaît à plusieurs signes : il a été initié par un maître reconnu, il appartient à une lignée de transmission identifiable, il est respecté par sa communauté, il ne promet pas de miracles instantanés, et il ne demande pas de sommes extravagantes. Méfiez-vous des « chamans » autoproclamés sur internet.
Le chamanisme africain a-t-il un lien avec le Candomblé brésilien ?
Oui, historiquement. Le Candomblé est une religion afro-brésilienne née des traditions yoruba, fon et bantou amenées par les esclaves africains. C’est une forme de survie et d’adaptation des spiritualités africaines en terre d’exil. Le Candomblé honore les Orishas (divinités yoruba) et utilise des pratiques similaires (transe, possession, divination).
Conclusion : Au-delà du Terme, la Réalité Spirituelle
Alors, le « chamanisme africain » existe-t-il ? Oui et non.
Non, il n’existe pas en tant que système unifié portant ce nom. Le terme est un raccourci occidental qui plaque une grille de lecture sibérienne sur des réalités africaines complexes et diverses.
Oui, il existe bel et bien des traditions spirituelles africaines millénaires qui partagent certains points communs avec ce que l’on nomme « chamanisme » ailleurs dans le monde : communication avec les esprits, transe, guérison par les plantes, rôle central d’initiés servant de pont entre visible et invisible.
Mais ces traditions ont leurs propres noms : Sangoma, Nganga, Bwiti, Vaudou, Candomblé… Chacune possède sa cosmologie, ses techniques, son histoire. Les connaître par leurs vrais noms, c’est les honorer. C’est reconnaître qu’elles ne sont pas des variantes exotiques d’un modèle sibérien, mais des systèmes de pensée complets et légitimes.
En tant que praticienne des traditions afro-brésiliennes, je vous invite à aller au-delà des termes. Si vous êtes attiré par ces spiritualités, approchez-les avec respect, humilité et authenticité. Ne cherchez pas à les consommer comme des produits de développement personnel. Cherchez à les comprendre, à reconnaître leur profondeur et, si vous êtes appelé, à vous engager dans un véritable chemin initiatique auprès de maîtres légitimes.
Les ancêtres veillent. Les Orishas dansent. Les esprits attendent ceux qui ont des oreilles pour entendre. Le voile entre les mondes est plus fin que vous ne le pensez.
Points Clés à Retenir
- Le terme « chamanisme africain » est débattu car il plaque un concept sibérien sur des pratiques africaines qui ont leur propre logique
- Les praticiens portent des noms spécifiques : Sangoma (Afrique du Sud), Nganga (Afrique Centrale), initiés Bwiti (Gabon), prêtres Vaudou (Afrique de l’Ouest)
- Le culte des ancêtres est le pilier central de la plupart des spiritualités africaines
- La transe fonctionne par possession (l’esprit descend) et non par voyage de l’âme (comme en Sibérie)
- Les plantes sacrées comme l’iboga sont dangereuses et ne doivent jamais être utilisées hors contexte rituel légitime
- Animisme, chamanisme et Vaudou sont trois concepts différents : vision du monde, ensemble de techniques, religion structurée
- Le respect des terminologies authentiques est essentiel pour honorer ces traditions
- Ces pratiques sont vivantes et continuent d’évoluer en Afrique et dans la diaspora
Sources et Références
Articles Académiques
- Le Quellec, J.-L. (2009). « L’Afrique et le chamanisme ». Journal des africanistes. OpenEdition Journals
- Articles sur les pratiques de transe et de possession en Afrique. Portail Cairn.info
Presse et Reportages
- Le Monde (2021). « En Afrique du Sud, les sangomas, maillon essentiel du système de santé ». Lire l’article
- Géo. « Qui sont les sangomas, ces guérisseurs d’Afrique du Sud ? ». Lire l’article
- RFI (2020). « Le vaudou au Bénin, bien plus qu’une religion ». Écouter le reportage
Institutions Culturelles
- UNESCO. Le patrimoine culturel immatériel de l’humanité (rituels africains reconnus). Site officiel
- Musée du Quai Branly – Jacques Chirac. Collections sur les arts et rituels d’Afrique Centrale et de l’Ouest. Site du musée
Références Encyclopédiques
- Encyclopædia Universalis. Article « Animisme ». Consulter
- Encyclopædia Universalis. Article « Vaudou ». Consulter
Cet article a un but purement informationnel et anthropologique. Les pratiques décrites, notamment l’utilisation de certaines plantes sacrées (comme l’iboga), peuvent être dangereuses pour la santé et sont réglementées ou illégales dans de nombreux pays, dont la France. Elles ne doivent jamais être tentées sans l’encadrement de praticiens traditionnels légitimes dans leur contexte culturel d’origine. Ces pratiques ne remplacent en aucun cas un suivi médical conventionnel.
Cet article a été rédigé par Virginie Lamien (Yalorisha), autrice et praticienne des traditions afro-brésiliennes. Pour en savoir plus sur mon parcours et mes accompagnements spirituels.
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